Ils ne sont plus très nombreux, les pilotes qui ont participé à ces épopées qu’étaient les Mille Milles, Liège-Rome-Liège ou la Coupe des Alpes. Encore plus rares ceux qui ont couru successivement pour D.B, René Bonnet et Alpine. Jean Vinatier est le témoin d’une époque aujourd’hui bien lointaine. Ce seigneur de la route est aussi un gentleman, avec lequel il est toujours agréable de faire un bout de chemin. Accrochez vos ceintures…
Propos recueillis par François Hurel – Photo Archives et Collections
Comment a débuté votre carrière dans l’automobile ?
Mes parents possédaient un garage au Kremlin-Bicêtre et ils ont disputé ensemble le Rallye Monte-Carlo. Après la guerre, le lieu de rendez-vous des pilotes était La Potinière, le bar-restaurant de l’autodrome de Montlhéry. Nous avions une maison de campagne en bord de Loire et nous nous y arrêtions en rentrant le dimanche soir. Mon père avait été mécanicien de l’Ecurie France, qui faisait courir des Talbot F1 pour Chiron, Giraud- Cabantous, Chinetti. Ces gens-là venaient à la maison. Baignant dans ce milieu, j’ai fait des études techniques, suivies de deux stages de six mois à l’UTAC puis chez Bugatti, à Molsheim. A cette époque, Bugatti fabriquait des moteurs pour la Défense Nationale. J’ai surtout réparé des voitures d’avant-guerre et j’ai eu l’occasion de travailler sur un moteur à compresseur de type 55, une très belle mécanique.
Quelles ont-été vos premières courses ?
A 14 ans, j’ai disputé la course de côte au ralenti de Montmartre, sur une Jeep. La FIA exigeait alors un an de permis avant de pouvoir courir. Ma première vraie course a été le rallye de Sablé-Solesme 1953 sur la Renault 4 CV que mon père avait préparée pour disputer les 24 Heures du Mans trois ans plus tôt. Puis j’ai remporté ma catégorie au Bol d’Or, au volant d’une barquette 2 CV construite par Pierre Barbot, un industriel de Montreuil. A cette époque, on conduisait seul pendant 24 heures. Avec cette 2 CV, nous avons ensuite battu neuf records internationaux à Montlhéry avec mon père et Pierre Barbot. Dans la foulée, on m’a demandé si j’étais intéressé pour faire le Tour d’Afrique en 2 CV. Nous sommes donc partis à trois voitures et avons parcouru 40 000 km en six mois. C’était une période agitée, en raison de la révolte des Mau-Mau au Kenya. Il n’y avait plus de piste entre Addis-Abeba et Nairobi et nous sommes restés un mois au Cap pour refaire les voitures (voir le livre de Jean Vinatier, Mon Tour d’Afrique en 2 CV, paru aux éditions de l’Autodrome, Ndlr).
Et après cette aventure ?
J’ai effectué 30 mois de service militaire, mais j’ai eu la chance d’avoir un colonel très sportif qui me laissait des facilités pour disputer des rallyes. Il mettait les coupes à l’entrée de son bureau. Puis j’ai repris la vie civile en travaillant dans le garage de mes parents, où nous réalisions des transformations sur 4 CV. J’ai commencé à disputer de grands rallyes, Liège-Rome-Liège, les Mille Milles, le Tour Auto et ma première Coupe des Alpes avec Jean-Louis Lemerle, sur une Aston Martin qui n’était pas idéale pour ça. Je ne prenais part que rarement à des rallyes de week-end, parfois avec des clients du garage qui me prenaient comme coéquipier-mécanicien. A l’époque, le coéquipier n’était pas seulement un lecteur de notes, il conduisait aussi. J’ai couru aux côtés de Pierre Escoffier, puis de Bernard Consten sur Alfa Romeo et Jaguar. J’ai aussi été le coéquipier d’Henri Oreiller au Tour de Corse sur Alfa Zagato et de René Richard au Liège-Rome-Liège sur Porsche.
Quel souvenir gardez-vous des Mille Milles ?
J’ai disputé les deux dernières éditions sur Alpine A106. C’était dément, dès que l’on franchissait la frontière avec l’étiquette « concurrent des Mille Milles » sur le pare-brise. Je garde un souvenir ému du départ à Brescia, où l’on parcourait des kilomètres entre plusieurs rangées de spectateurs. Les petites T et GT partaient devant, ce qui formait un véritable essaim. Ce n’était pas facile pour doubler. Quand on voyait beaucoup de monde dans un virage, c’est qu’il y avait un piège ou un problème. Le plus envoûtant, c’était dans les Apennins, la montagne était noire de monde. Toute l’Italie participait. La presse italienne estimait qu’il y avait 7 millions de spectateurs sur le parcours. En 1956, je suis parti seul sous la pluie avec la voiture d’un client, mais j’ai cassé une soupape en arrivant sur Rome. En 1957, j’ai terminé à 111 km/h de moyenne. J’ai été l’un des premiers à arriver sur les lieux de l’accident d’Alfonso de Portago. C’est le seul endroit où j’ai vu des Italiens me faire signe de ralentir au lieu d’accélérer. Sur l’instant, je n’ai pas compris et je ne sais pas comment je suis passé. J’ai certainement été le premier à annoncer l’accident, qui avait eu lieu à une trentaine de kilomètres de l’arrivée. Je savais qu’il y avait des morts et je peux encore revoir la photo de ce que j’ai découvert : une grosse roue arrachée sur la route, de la terre, de l’huile et des gens couchés sur le côté. Ça m’a marqué à vie. Mais cette course était formidable car on pouvait piloter sans retenue pendant 1 600 km. [...]
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